13 juin 2015

"Couleurs et visages du Sénégal"

En route pour le Bukut ( Initiations au Sénégal )


Je désespérais assister à une cérémonie d’initiation. Pourtant, le rituel, d’essence animiste, subsistait en pays Bassari et Diola, à l’est et au sud du Sénégal, entre savane sèche et forêt pluvieuse. Evénement structurant de ces cultures, la grande initiation témoigne par sa rareté : il faut attendre deux décennies ou plus pour voir la porte du Bois sacré s’ouvrir aux futurs initiés. Mais le dieu curieux des journalistes faisant toujours bien les choses, en août 2007, Mandemory, le génial « photodidacte», m’invite à répondre à l’appel de Baïla, là-bas, en Casamance. 



Les fils du village entraient dans le Bois sacré, trente six ans après la dernière fournée de grands initiés.
Mandemory m’avait souvent chanté les vertus et enchantements des rites de transition, sujet sur lequel il travaille, dans des conditions extrêmes, depuis une quinzaine d’années. Aux yeux du photographe, le fameux chemin d’épreuves rituelles demeure la valeur refuge suprême pour cultures africaines qui ont propension à s’oublier. Savoir qui nous sommes pour mieux exister dans un monde globalisé. Garder à l’esprit que le coup de vent qui pousse la feuille dans le trou, ne peut l’en faire sortir.
Le voyage au cœur des rites et traditions conduit, en 1992, Mandemory chez les Bassari et les Bédick, minorités ethniques sénégalaises vivant encore de cueillette et de chasse. En 1994, le photographe urbain élargit son travail en Casamance et assiste, émerveillé, au Bukut de Thionkh Essyl. Il était donc curieux de «voir» si Baïla ferait mieux que Thionk Essyl dont il avait ramené de superbes photos. Le photographe m’amenait sur ses pas pour raconter, témoigner et … arrêter les dérives. Le croisé de l’initiation, en 1997, criait son indignation : les jeunes Bassari célébraient la Danse du Caméléon, chorégraphie sacrée entre toutes, chaussés «Nike». L’œil affuté du photographe voyait au dessus des crânes rasés les nuages de l’envahissement et, sous leurs pieds, le gouffre insondable de l’uniformisation meurtrière … Mandemory, me semble-t-il, courait à Baïla aux fins de préserver une tradition vieille de neuf siècles. Avec des photos de vie, qui, entre ombre et lumière, révéleraient l’âme secrète du fier peuple Diola. Savait-il qu’ailleurs, Carlos Fuentes commettait «des romans pour conjurer la mort». La mort en «Nike»…


Texte © Souleymane N'Diaye