29 févr. 2016

L’ultimatum d'un collectionneur africain à deux galeristes parisiens

L’ultimatum d'un collectionneur africain à deux galeristes parisiens


Masque représentant une femme de l'ethnie tchokwe, datant du début du XXe siècle. Hauteur : 22 cm.
Le collectionneur Sindika Dokolo avait annoncé en 2015 son souhait de rapatrier des objets d’art classique volés en Angola. C’est désormais en partie chose faite. Le 4 février, deux masques et une statue tchokwe du Musée du Dundo à Lunda Norte, une région du nord de l’Angola proche de la République démocratique du Congo, ont regagné le pays lors d’une cérémonie officielle orchestrée à Luanda en présence du roi tchokwe Mwene Muatxissengue Wa-Tembo. Les œuvres avaient disparu au cours de la guerre civile entre 1975 et 2002.

Les trois pièces exposées jusqu’en avril à la Fondation Sindika-Dokolo rejoindront plus tard leur musée d’origine. « J’ai découvert voilà trois ans que le bâtiment avait été réhabilité et mis aux normes, confie Sindika Dokolo. C’est un petit musée bien fait, avec un parcours didactique qui n’a qu’un seul défaut : il était très ethnographique, ce qui faisait perdre de vue la dimension artistique. Lorsque j’ai demandé où étaient les grands objets on m’a répondu que ça avait été volé depuis les années 1970. »

« Se défaire du regard colonial méprisant »

Pour mener à bien leur rapatriement, il s’est inspiré aussi bien des procédures offensives du Nigeria, qui réclame des bronzes détenus par le British Museum, que des restitutions des biens spoliés juifs. Deux marchands d’art africain, le Bruxellois Didier Claes et le Parisien Tao Kerefoff, l’appuient dans ses recherches. La stratégie ? Prendre contact avec les détenteurs d’objets litigieux en leur proposant de les indemniser du montant qu’ils ont payé en échange de la restitution. Le cas échéant, Sindika Dokolo menace d’engager des poursuites judiciaires.
Masque "Lwena" Pwo, datant du début du XXe siecle. Hauteur : 27 cm
« On s’est trouvé face à des collectionneurs qui avaient acheté les objets il y a longtemps et de bonne foi, rapporte-t-il. Il y avait une grosse différence entre le prix qu’ils avaient payé et celui du marché. Ce sont des amoureux de l’Afrique et ils n’ont pas résisté devant l’argument que leur position était indéfendable. Ils ont compris que l’Angola avait besoin de récupérer ces objets, prendre la mesure de sa trajectoire historique, se défaire du regard colonial méprisant sur ces objets. » Le collectionneur a dédommagé les propriétaires à hauteur de 50 000 euros par œuvre récupérée, un prix en dessous de leur valeur marchande.
L’affaire se corse aujourd’hui avec de nouvelles négociations pour récupérer quatre autres objets, dont deux détenus par des marchands parisiens réputés. « L’argument d’ignorance ou d’incompétence ne tient pas dans leur cas, lâche Sindika Dokolo. L’un de ces marchands a publié l’objet en question. Je lui ai proposé un tiers du prix auquel il l’avait payé. » Le collectionneur a donné jusqu’au 1er mars au professionnel pour restituer la pièce, sous peine d’engager une action judiciaire.
Même ultimatum lancé au second marchand parisien, qui possède une statuette de princesse tchokwe dont il réclame un million d’euros. « Il part du principe que la statue est belle et rare et comme j’ai beaucoup d’argent, je devrais payer. Je ne fais pas la même analyse. Je vais lui proposer 50 000 euros, lance Sindika Dokolo, un brin bravache. C’est le genre d’attitude méprisante et raciste que j’exècre. Je veux leur montrer que nous sommes organisés, déterminés, et que nous irons jusqu’au bout. »
Didier Claes se veut plus nuancé : « Il peut arriver que les marchands aient mal fait leur travail ou qu’ils savent que les objets sont volés et qu’ils font mine d’ignorer. Mais il faut aussi dire qu’il y a très peu d’informations sur les objets du musée, pas de base de données. Art Loss Register ne dispose pas de photos des objets volés dans les musées africains. »

« De l’art et non de l’artisanat poussiéreux »

Musées, marchands et collectionneurs occidentaux avancent aussi à leur décharge que les objets sont mieux protégés chez eux que dans certains pays africains gangrenés par la corruption ou le terrorisme. « Il y a, bien sûr, des pays en banqueroute qui n’ont pas les moyens d’entretenir leur patrimoine et d’autres menacés par le terrorisme, admet Sindika Dokolo. Mais on ne peut pas sortir à chaque fois cet argument pour prendre en otage le débat et nous traiter comme des enfants incapables de nous occuper de nous-mêmes. C’est irrecevable dans le cas du Musée du Dundo. »

Le collectionneur en est sûr, son volontarisme provoquera un électrochoc chez ses concitoyens. « Très peu d’Africains savent que ces objets sont de l’art et non de l’artisanat poussiéreux, regrette-t-il. J’aimerais qu’on apprenne à regarder nos origines avec un œil nouveau. » Il espère aussi créer des émules dans la nouvelle génération de millionnaires africains. « Je mets ma main au feu que d’ici cinq à dix ans, 20 à 25 % des acheteurs d’art classique seront africains, estime Didier Claes. Et je ne me vois pas vendre aux Africains des pièces pillées deux jours plus tôt au Nigeria ou ailleurs. Il faut absolument mettre en place une vraie charte de déontologie. »