En route pour le Bukut ( Initiations au Sénégal )
Je désespérais assister à une cérémonie d’initiation. Pourtant, le rituel,
d’essence animiste, subsistait en pays Bassari et Diola, à l’est et au
sud du Sénégal, entre savane sèche et forêt pluvieuse. Evénement
structurant de ces cultures, la grande initiation témoigne par sa rareté
: il faut attendre deux décennies ou plus pour voir la porte du Bois
sacré s’ouvrir aux futurs initiés. Mais le dieu curieux des
journalistes faisant toujours bien les choses, en août 2007, Mandemory,
le génial « photodidacte», m’invite à répondre à l’appel de Baïla,
là-bas, en Casamance.
Les fils du village entraient dans le Bois sacré, trente six ans après la dernière fournée de grands initiés.
Mandemory m’avait souvent chanté les vertus et enchantements des
rites de transition, sujet sur lequel il travaille, dans des conditions
extrêmes, depuis une quinzaine d’années. Aux yeux du photographe, le
fameux chemin d’épreuves rituelles demeure la valeur refuge suprême pour
cultures africaines qui ont propension à s’oublier. Savoir qui nous
sommes pour mieux exister dans un monde globalisé. Garder à l’esprit que
le coup de vent qui pousse la feuille dans le trou, ne peut l’en faire
sortir.
Le voyage au cœur des rites et traditions conduit, en 1992,
Mandemory chez les Bassari et les Bédick, minorités ethniques
sénégalaises vivant encore de cueillette et de chasse. En 1994, le
photographe urbain élargit son travail en Casamance et assiste,
émerveillé, au Bukut de Thionkh Essyl. Il était donc curieux de «voir»
si Baïla ferait mieux que Thionk Essyl dont il avait ramené de superbes
photos. Le photographe m’amenait sur ses pas pour raconter, témoigner
et … arrêter les dérives. Le croisé de l’initiation, en 1997, criait son
indignation : les jeunes Bassari célébraient la Danse du Caméléon,
chorégraphie sacrée entre toutes, chaussés «Nike». L’œil affuté du
photographe voyait au dessus des crânes rasés les nuages de
l’envahissement et, sous leurs pieds, le gouffre insondable de
l’uniformisation meurtrière … Mandemory, me semble-t-il, courait à
Baïla aux fins de préserver une tradition vieille de neuf siècles.
Avec des photos de vie, qui, entre ombre et lumière, révéleraient l’âme
secrète du fier peuple Diola. Savait-il qu’ailleurs, Carlos Fuentes
commettait «des romans pour conjurer la mort». La mort en «Nike»…
Texte © Souleymane N'Diaye
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