5 janv. 2015

«Je crois qu’il y a une réelle révolution à mettre en place dans nos états»: Khalid Tamer, président de la CITF



«Je crois qu’il y a une réelle révolution à mettre en place dans nos états»

Khalid Tamer, président de la Commission internationale du Théâtre francophone (CITF)

Homme de théâtre, véritable opérateur culturel avec plusieurs manifestations à son compte, il est le premier africain à la tête de la Commission internationale du Théâtre francophone (CITF). Khalid Tamer, puis-ce que c’est de lui qu’il s’agit, dans cet entretien qu’il nous a accordé à Cotonou (Bénin) en marge du FITHEB donne son appréciation de la Culture et du théâtre africain et trace les grandes lignes de sa mission à la CITF.


Qui êtes-vous pour nos lecteurs ?

Je suis Khalid Tamer, président de la Commission internationale du Théâtre francophone (CITF), directeur du festival Awaln’art à Marrakech. Je suis également vice-président de la biennal d’art contemporain de Marrakech au Maroc.

Vous êtes ici à Cotonou dans le cadre de la 12e édition du FITHEB, qu’elle est votre appréciation de ce grand festival qui tente de se relancer ?

J’ai vu des choses très intéressantes. Ce qui m’a beaucoup touché c’est la façon de mettre des spectacles dans la rue, dans l’espace public. Une chose pour laquelle je me suis toujours battu c’est d’amener le théâtre vers les gens et je trouve ça assez innovant. J’ai fait plusieurs FITHEB mais je n’avais jamais vu cela ; rien que pour ça je dis bravo aux organisateurs. Si j’ai quelque chose à ajouter c’est à l’endroit des autorités béninoises. Qu’elles accompagnent l’actuel directeur de l’évènement. Il a amorcé un travail très intéressant et je trouverai ça dommage qu’il s’en aille. Car, très souvent chez nous, en Afrique il y en qui aime trop le pouvoir et certains c’est le travail qu’ils aiment. Le FITHEB est en train de renaître avec plein de choses. C’était aussi intéressant de voir la grande implication de l’Etat à travers le ministre de la Culture qui était présent à plusieurs spectacles. Pour moi le bilan est satisfaisant et il faut continuer dans ce sens-là.

Vous avez été nommé à la tête de la CITF au cours de l’année 2014, quels seront vos grands chantiers dans le domaine du théâtre ?

Tout d’abord c’est un honneur d’être le premier africain nommé, en 27 ans, à la tête de la Commission
internationale de Théâtre francophone (CITF). Pour moi les grands chantiers c’est de ramener de plus en plus de public et d’équipes artistiques dans la CITF. Nous avons des financements pour accompagner les compagnies, malheureusement on rencontre très peu celles d’Afrique et c’est dommage. Je vais donc prendre mon bâton de pèlerin afin de susciter cela auprès des différents pays. J’étais dernièrement aux Récréâtrâles au Burkina, ensuite à Dakar pour une rencontre de réflexion sur le théâtre, là je suis au FITHEB et je vais continuer à aller voir les équipes assez travailleuses pour les faire savoir que la CITF peut les accompagner financièrement. Depuis que je suis à la tête de la commission nous avons créé ce qu’on appelle la bourse d’exploration de 5000 euros qui permet aux équipes d’aller à la rencontre d’autres compagnies francophones pour créer. Il y a assez d’information sur le site internet de la CITF.

En parlant du théâtre africain, pour certains observateurs il est en crise ; quel est votre regard ?

Ce n’est pas le théâtre qui est en crise, c’est une société qui est crise. On ne peut pas dissocier le théâtre de la société. Par contre je vois qu’il y a de nouvelles formes de théâtre qui sont en train de naître. D’ailleurs ça fait partie aussi de mes chantiers. C’est d’ouvrir le plus large possible le théâtre. Il n’y a pas pour moi une crise mais plutôt une ouverture vers d’autres formes d’arts et d’identités africaines. J’ai vu récemment ce qui se passe à Ouagadougou ou à Dakar et pour moi c’est un changement venant d’une nouvelle génération. Une jeunesse courageuse qui a beaucoup à dire sur les inégalités, la pauvreté, la politique, etc. On l’a vu au Burkina Faso avec un peuple jeune qui est sorti dans la rue par exemple. L’art c’est pareil, c’est un vecteur pour dire les choses à la population et je ne crois pas qu’il soit en crise. On est plutôt en manque de confiance pour certaines formes d’art. Le théâtre africain existe et doit exister ; et nous sommes là pour le défendre.

Comme pour d’autres formes d’arts, au niveau du théâtre il existe une chaîne de production et de promotion. Dans votre mission qu’est-ce qui sera fait à ce niveau ? Je parle notamment de ceux dans l’ombre comme les critiques, les administrateurs et les autres acteurs…

Il y a quelque chose de fondamental à savoir la formation. Formé c’est la base de tout. Il faut que nos états forment des critiques, des artistes, des diffuseurs, c’est-à-dire des gens qui créent mais aussi qui savent vendre sur les marchés. De nos jours le marché des arts est plus grand et c’est tout le monde entier avec internet par exemple. On peut être à Dakar, à Ouaga, à Bruxelles ou à Paris et vendre en Chine ou aux USA et vice versa. Je crois qu’il y a une réelle révolution à mettre en place dans nos états africains à ce niveau. Tout passe par la formation, si non on ne peut pas avoir de bons professionnels. Cette formation aux arts doit se faire partout, en milieu scolaire et/ou académique aussi. Il faut savoir qu’on ne peut pas s’arrêter sur des choses qu’on a mises en place il y a des années. Chaque fois qu’on avance on doit réfléchir autrement et la base de tout c’est la formation, c’est la transmission.

Revenant sur votre plébiscite à la tête de la CITF, dites-nous comment cela s’est passé ?


Le festival Awaln'art à Marrakech
J’étais expert pendant 4 ans à l’OIF et mes compères ont jugé nécessaire de me porter à ce poste en tant que premier africain. C’est donc avec fierté que je porte le drapeau de l’Afrique. Pour moi c’est une joie et une occasion de défendre l’art africain partout où j’irai. Je mettrai des ponts entre l’Afrique et le Moyen-Orient par exemple, où il y a très peu d’art africain. Je le ferai aussi entre le continent et les autres contrées. Le plus dure dans notre société c’est qu’on a l’impression qu’il y a deux Afrique et que le Maghreb est coupé de l’Afrique de l’Ouest par exemple. Mon combat sera aussi de mettre ensemble toute l’énergie africaine.

Vous étiez à Ouagadougou en Octobre 2014 dans le cadre des Récréâtrâles, que pensez-vous de ce qui se passe au Burkina ?

Comme je le disais plutôt, je pense que le théâtre est en train de renaître. Ce que j’ai vu à Ouagadougou est très intéressant. S’approprier le théâtre, le mettre dans des cours, comme c’est le cas avec les Récréâtrâles, je me dis, voilà une invention. C’est aussi casser des barrières et revenir à nos identités. Ce que j’ai vu est une vraie révolution africaine et tant que nous serons dans de telles dynamiques, le théâtre sera exportable. En tant que président de la CITF je vais me battre, pour faire exporter du théâtre comme par exemple un spectacle que j’ai vu en Mooré. J’ai vu du théâtre japonais sous-titré en France et il n’y avait pas de problème. C’est ça aussi la francophonie d’écouter nos langues.

Avec la crise économique, le financement des manifestations en Afrique a pris un coup. Même si nous savons que l’OIF soutient beaucoup d’entre elles, qu’est-ce qui sera fait, aussi bien pour interpeller les états qu’à votre niveau ?

La directrice aux diversités culturelles a mis en place un projet en réflexion avec l’ensemble des opérateurs culturels dont je fais partie, un programme contrat de confiance. On n’a plus envie de donner de petits moyens de 1000 ou de 2000 euros. Mais plutôt d’accompagner les projets francophones africains avec ce contrat de confiance.  A hauteur de 20 000 euros ou plus sur deux ou trois ans pour accompagner un opérateur culturel. C’est-à-dire que la personne qui aura ce budget aura trouvé d’autres partenaires, aussi bien étatiques, pour l’accompagner à vivre de son activité. Et permettre à l’état aussi d’avoir un retour, parce-que la Culture c’est aussi de l’économie. Dans des manifestations comme le FITHEB ou les Récréâtrâles on a beaucoup d’activités qui gravitent autour, telles la restauration, les hôtels, les taxis, etc. Il faut penser comment créer une économie culturelle et nous sommes là pour accompagner ces opérateurs à mettre en place une stratégie commerciale sur la Culture.


Jérôme William Bationo
Ouaga-Cotonou-Ouaga

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