C’est une vieille dame qui réside à côté du Musée
national. Une nuit, des jeunes gens en colère s’en sont pris à elle. Avec une
violence inouïe. Et personne ne s’est émue.
J’ai pris sur moi de vous écrire pour dire ma révolte face au sort que de
jeunes malappris de la capitale vous ont fait subir.
Je ne connais pas votre nom, mais je vous appellerai bien Yaaba car c’est
ainsi que personnes âgées sont affectueusement nommées ici. Depuis 2007, je
vous ai toujours vue à côté du jardin en face du Musée national. Au début, j’ai
cru que vous faisiez la mendiante comme la plupart des vieilles femmes qui sont
aux feux tricolores mais j’ai vite compris que vous n’étiez pas de cette
engeance.
Vous aviez un port si altier, une constante dignité dans le maintien qui
laissent deviner que vous êtes d’une noble extraction. Me soit souvent demandé
de quel royaume vous étiez la princesse ? Le collier de perles et les
bracelets aux manches font penser aux Zoulous. Vos yeux bridés ajoutent à votre
mystère. Etes-vous issue d’un métissage entre l’Afrique australe et l’Asie
mineure. Loin de tendre la sébile, vous offrez plutôt un regard bienveillant et
maternel aux Ouagalais qui marquent un arrêt lorsque le feu est au rouge.
J’ai constaté que le temps n’avait aucune prise sur vous. Depuis que vous
avez pris place à proximité de l’Hôpital pédiatrique, vous avez conservé le
même teint et le même visage lisse. Votre coiffure est restée intacte, elle ne
s’est jamais effilochée.
Les rayons du zénith vous faisaient étinceler comme si vous étiez parée
d’or et la lumière de l’aube vous donnait un teint vif d’argent en fusion. Même
la fine poussière de Ouaga qui transforme les visages en masques de latérite
vous glissait dessus comme de l’eau sur une plume d’oie. Votre petite taille a
toujours intrigué mais on m’a souvent dit que les personnes de petite taille
résistaient mieux aux outrages des années.
Et voilà que depuis cette nuit maudite, vous avez perdu votre éclat. Du
cambouis a noirci votre visage. Le regard s’est voilé et même une grande
lassitude semble peser sur vos épaules.
Mais pourquoi ces jeunes hommes qui vous connaissent s’en sont pris à votre
intégrité physique. Votre grand âge ne les a même pas intimidés. On a dit
qu’ils étaient en colère contre les autorités de la cité. Légitime est
peut-être leur colère mais inexcusable est cette explosion de violence sans
discernement. Qu’avez-vous à y voir dans les affaires de la cité? Ils ont,
semble-t-il, commencé par brûler des pneus sur le boulevard et ériger des
barricades sur le boulevard. Ensuite, ils s’en sont pris à vous.
Mon cœur saigne quand je pense à ce qu’ils vous ont fait subir. Ils vous
ont d’abord enfumée les yeux et la gorge avec l’incendie des pneus avant de
vous passer des pneus autour du cou, de vous arroser d’essence et de craquer…
une allumette. Ils pensaient vous transformer en torche humaine qui se mettrait
à courir en tous sens avant de s’effondrer, réduit à un petit tas de cendre.
Mais vous êtes plus forte qu’eux.
Vous êtes restée debout. Admirable résistance. Mais ce visage qui brillait
sous les rayons du soleil comme si vous étiez revêtue d’or et luisait
tranquillement sous la clarté de la lune la nuit, ce beau visage est devenu
tout noir de suie. Votre regard s’est voilé de noir et vos habits sont tous sales.
Honte à eux !
Est-ce votre calme regard qui les irritait ? Est-ce votre immobilité
au milieu de leur fébrilité ? Pauvre jeunesse qui ne sait que la
désapprobation peut être mutisme, qui ignore que la douleur est silence et ne
s’épanche pas bruyamment.
Mais je m’offusque aussi contre tous les Ouagalais qui, depuis cette
terrible nuit, vous regardent et ne font rien. Vous vous dites que le monde a
bien changé. Que les Ouagalais sont devenus bien indifférents. Vous avez
raison. Aucun n’a osé s’interposer pour vous protéger des vandales et après
l’outrage, aucun n’a daigné s’arrêter et vous tendre sa serviette pour vous
essuyer votre visage. Seul le ciel a été compatissant, il a ouvert ses vannes
pour vous offrir une toilette mais cela n’a pas suffi à vous rendre votre
éclat.
A ces jeunes qui vous ont malmenée, je leur souhaite de vivre vieux et de
subir l’outrage des jeunes impertinents. Ils comprendront à rebours votre
grande peine.
Malheureusement, ils ne seront jamais à votre place. Vous êtes d’airain. Eux,
sont d’anonymes pyromanes. A ceux qui jugeront ma colère exagérée parce qu’il y
a tant d’autres problèmes plus graves, je leur rétorquerai que ce n’est pas
parce que vous êtes de chair et de sang que vous n’êtes pas important. Vous
êtes une sculpture. Une œuvre d’art. Et s’attaquer à une statue est lâche car
elle ne peut se défendre.
Si nous nous sommes permis de vous adresser cette lettre, c’est pour vous
assurer que tout le monde n’est pas indifférent à Ouaga. Et aussi pour dire aux
indifférents que lorsqu’on s’en prend au patrimoine artistique, cela annonce
souvent des lendemains qui déchantent.
Saïdou Alcény Barry
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