Youssef Ouédraogo
«Le show-biz burkinabè est malade de ses hommes»
Il a plusieurs casquettes, notamment celles de critique, de journaliste
et de promoteur culturel. Chef des programmes de la radio Jeunesse, dans cette
interview qu’il a accordée à l’Obs. Dim le samedi 26 juillet 2014 à
Ouagadougou, Youssef Ouédraogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, tire à
boulets rouges sur les spéculateurs et revient sur l’origine des FAMA. Il n’a
pas manqué non plus d’informer sur les lendemains de l’association des
Journalistes et communicateurs pour la Culture (J2C) avant de relever les
failles du show-biz burkinabè.
Dans mes activités quotidiennes,
je vais bien.
Qui es-tu pour ceux qui veulent te connaître davantage ?
Il faut dire que j’ai plusieurs
casquettes. Ce qu’il faut retenir c’est que je suis né à la fin des années 70,
en Côte d’Ivoire, où j’ai fait mon cursus scolaire avant de rentrer au Burkina
après mon baccalauréat. J’ai intégré l’université de Ouagadougou au début des
années 2000 d’où j’en suis sorti avec une maîtrise en Lettres modernes. Très
tôt j’ai commencé la radio alors que je n’étais qu’étudiant. J’ai été progressivement
animateur au niveau de la radio Gambidi, puis stagiaire à Salankoloto, ensuite
à la radio Arc-en-ciel et, depuis 2005, j’ai déposé mes valises à la radio Jeunesse où je suis le chef des
programmes. J’ai également collaboré avec certains médias, notamment Star
Hebdo, L’Obs. Dim et Ouaga Fm. J’ai aussi des tentacules d’entrepreneur avec
Radio 21, la première radio en ligne au Burkina, et je suis promoteur d’un
évènement, à savoir les Faso music awards (FAMA). Parallèlement à tout cela, je
suis enseignant vacataire des lycées et collèges.
Pour ce qui concerne les FAMA, peux-tu présenter davantage cet
évènement dont tu es le promoteur ?
Les Faso music awards (FAMA) se
sont déroulés du 5 au 7 mars 2014 pour la première édition. C’est un évènement
porté à l’origine par l’association des Journalistes et communicateurs pour la
Culture (J2C) pour encourager les acteurs culturels qui œuvrent dans l’ombre.
J’avoue qu’au début tous n’étaient pas partants pour cette initiative au vu de
l’existence d’autres évènements dans le même genre. Mais j’étais de ceux qui
ont pensé que trop de viande ne gâtait pas la sauce. Des manifestations dans le
domaine existent où l’accent est mis sur l’aboutissement d’un travail accompli.
Nous avons donc estimé qu’il fallait voir tous les maillons de la chaîne, à
savoir les producteurs, les éditeurs, les managers, les journalistes culturels,
etc. En somme, les FAMA mettent un pan sur les professionnels de la filière
musique.
Dans cette manifestation, il existe une distinction des artistes ;
ce qui n’a pas manqué pour certaines personnes de qualifier cet évènement d’une
réplique des Kundé avec juste quelques modifications. Qu’en dis-tu ?
Je vous informe que nous avons
pris le soin de faire un toilettage dès le début. Effectivement, à la naissance
du projet, la comparaison a été vite faite avec les Kundé qui existent depuis
près de 15 ans. Ce qu’il faut remarquer, c’est que cet évènement récompense
exclusivement les artistes musiciens. Comme je l’ai dit plus haut, nous, nous
avons pensé à accompagner les oubliés de la chaîne. Cependant, lorsque nous
avons primé un artiste comme FAMA de l’année, le bruit a couru que nous sommes
un concurrent des Kundé. Ce qu’il faut retenir, c’est que, cette distinction,
nous la donnons à une personnalité de la filière, qu’elle soit artiste ou non,
qui aurait marqué par son travail et/ou ses résultats tout au cours de l’année.
C’est le jury qui a travaillé et qui a jugé. Tous ceux qui portent certains
jugements sur les FAMA doivent être patients, car nous ne sommes qu’à la
première édition. Il ne faut pas tirer des conclusions hâtives à partir d’un
seul fait. Je reconnais qu’au regard des personnes qui ont été distinguées à
cette première édition on peut penser à une similitude avec les Kundé, mais
nous sommes inscrits dans une démarche et le temps permettra aux uns et aux
autres de comprendre davantage. Je tenais à préciser qu’au niveau de la
différence, les FAMA sont un festival qui se déroule sur trois jours avec
plusieurs activités. Aussi, en termes de perspectives, l’évènement ne va pas
élire domicile à Ouagadougou. Nous irons dans les chefs-lieux de région.
Quels sont donc vos rapports avec les organisateurs des Kundé ?
Nous n’avons aucun problème avec
les organisateurs de cet évènement. Je vous informe que j’ai plusieurs fois participé
aux Kundé en tant que journaliste et, j’ai même eu l’honneur d’être membre du
jury de cette manifestation. En aucun moment les organisateurs n’ont voulu
saboter les FAMA. Le promoteur a même souhaité la bienvenue à notre bébé dans
des interviews qu’il a accordés. Néanmoins je tiens à le dire que le Burkina
est dans une dynamique et qu’il ne faudra pas voir d’un mauvais œil si d’autres
manifestations de la même nature et du même acabit viennent à se créer. La
différence va résider au niveau de l’organisation, et il faut reconnaître que
les Kundé ont réussi pour ce qui concerne cela. La beauté du tapis c’est la
mosaïque des couleurs, comme le disait Senghor. La force de notre show-biz
serait qu’il y ait beaucoup de manifestations. Il ne faut pas embrigader les
esprits pour juste un évènement ou bien qu’il faille que l’un cesse pour que
l’autre commence. Non ! Cependant, je suis d’accord qu’au vu de l’absence
de sponsors, ça risque de plomber certaines manifestations. Mais nous espérons
que les politiques permettront d’avoir davantage d’accompagnements.
Certaines personnes réclament la paternité des FAMA ; qu’en est-il
exactement pour ce qui concerne l’origine et l’appellation de
l’évènement ?
Si vous ne voulez pas qu’il y ait
des spéculations sur vous ou sur vos projets, autant être dans le silence et
dans l’inertie. Quand on décide d’entreprendre, il faut s’y attendre. Je vous
informe donc que tout ce qui se dit ou s’est dit relève de spéculations que certains
individus ont voulu dresser devant nous face à notre projet. Nous sommes
conscients de cela et nous travaillons à les contrer. Le projet des FAMA est né
dès la création de la J2C (Association des Journalistes et communicateurs pour
la Culture) ; à l’époque, nous avions un plan d’actions dans lequel
étaient inscrites plusieurs activités. Malheureusement, nous n’avons pas pu toutes
les réaliser. L’Agora de la musique chaque 21 juin, Bonjour et plein d’autres
étaient dans ce plan par exemple. Cependant, il y avait les Burkina show-biz
awards qui se tenaient entre-temps, qui ont eu deux éditions. Avant de lancer
les FAMA, nous avons entrepris des démarches pour voir dans quelles mesures
mutualiser nos forces dans ce sens. Des réunions se sont tenues mais ça n’a
abouti à rien. L’opportunité pour organiser les FAMA s’est présentée et nous
l’avons saisie. Je suis de ceux qui pensent que chaque génération doit impacter
son temps, n’en déplaise à ceux qui polémiquent. Il faut avoir l’honnêteté de
reconnaître que, dans ce pays, il y a du mensonge. Nous n’allons pas rentrer
dans ces polémiques, nous laisserons les gens nous juger sur le travail.
Que peut-on retenir de cette première édition des FAMA ?
Ç a été accepté par un grand
nombre d’acteurs culturels, même si quelques-uns on été réticents. Il était
attendu et ça a fait un effet. Nous avons pu mettre également en avant la
musique traditionnelle de chez nous et créer une sorte de courroie entre
plusieurs acteurs de ce monde de la musique.
En temps que journaliste culturel depuis près d’une décennie, quel
regard portes-tu de nos jours sur le secteur de la culture au Burkina ?
Il y a de plus en plus une
professionnalisation du secteur avec des associations faîtières dans les
différentes filières. Même les plus incrédules commencent à croire que c’est un
secteur porteur au même titre que les autres domaines. Avec un apport au PIB,
la culture a désormais un autre égard vis-à-vis des décideurs politiques.
Aussi, la consommation musicale a évolué au grand bonheur des créateurs. Une
salle comme la maison du Peuple ne fait même plus peur aux artistes et ça c’est
vraiment intéressant. Tout est à saluer car il y a un travail qui a été fait
par les différents acteurs. Je peux dire que le Burkina est sur la bonne voie.
La J2C dont tu es l’un des pères fondateurs est de plus en plus
moribonde ; depuis sa création, en 2007, les instances dirigeantes n’ont
jusque-là pas été renouvelées malgré le fait que certains membres ne soient
même plus en activité, laissant croire à une monopolisation de la structure par
quelques individus. Que se passe t-il exactement ?
En lançant par exemple un projet
comme les FAMA, notre volonté était de fédérer les journalistes culturels.
Lorsqu’on met une association en place et qu’il n’y a pas d’activités, elle
finit par mourir. Les associations professionnelles sont différentes des autres
formes d’associations au vu du manque de temps des uns et des autres. Ce sont
les évènements qui donnent une seconde vie à ces structures en permettant aux
adhérents de se rencontrer plus souvent. Malheureusement, au niveau de la J2C,
on était en manque d’activités. On est tombé dans une sorte de léthargie. Nous
voulons voir maintenant dans quelle mesure revivifier la structure avec les
instances à venir et mettre du sang neuf. Nous reconnaissons qu’il y a beaucoup
à faire. Je suis l’un des rares membres fondateurs toujours en activité dans le
domaine du journalisme culturel. Je pense que l’avenir de la J2C repose sur la
nouvelle génération, mais il est bien de préciser qu’il faut un transfert de
compétences certes, mais d’une façon progressive. Ce qui est important pour
nous qui sommes toujours à la tête de cette structure, c’est de voir dans
quelle mesure organiser une assemblée générale et augmenter les activités. Nous
promettons que la J2C va redorer son blason et réorganiser ses instances dans
les jours à venir.
On dit du show-biz burkinabè une mer agitée où des requins mangent les
petits poissons ; qu’est-ce que tu penses de cette assertion et quelle
appréciation fais-tu de ce milieu ?
Ce que je retiens c’est que, dans
notre show-biz, il y a une sorte de partialisation. Il faut aussi dire que
c’est un show-biz embryonnaire du fait qu’il manque certains maillons de la
chaîne. Il y a des tendances et des courants qui minent le secteur. J’ai à mon
compteur plus de 200 émissions avec les acteurs clés de ce milieu ; et ça
m’a permis donc de comprendre qu’il pêche par son manque de solidarité. Entre
les acteurs eux-mêmes, beaucoup n’hésitent pas à se mettre les bâtons dans les
roues les uns des autres. Aussi, il y a un problème d’audace parce qu’il manque
de grandes actions. Le show-biz burkinabè est malade de ses hommes. Ceux qui
tiennent le haut n’ont pas travaillé à assainir le milieu pour donner des
coudées franches aux jeunes qui arrivent. Ils ont travaillé à créer des
dynasties. Si vous n’êtes pas là-dedans vous êtes broyés. C’est un show-biz qui
manque d’humanisme et qui a un visage hideux. Du côté des artistes, voyez
vous-même le nombre d’associations. Pourtant, ces dernières ont les mêmes
objectifs. De nos jours, il y a des artistes de tel ou tel bord. Au niveau des
journalistes il y en a qui travaillent pour consolider les dynasties. Ils
reçoivent de l’argent pour écrire et mythifier des gens ou pour combattre leurs
confrères. Nous avons un milieu qui a besoin d’être assaini. Le show-biz aura
une nouvelle vie avec le renouvellement des générations. Je pense que les plus
jeunes qui arrivent ont une autre compréhension et pourront apporter beaucoup à
ce milieu.
Une adresse particulière…
On dit que le journaliste fait un
travail noble en mettant en orbite certaines personnes. Les médias culturels au
Burkina ont travaillé à consolider un secteur, mais le regret est que les
acteurs culturels n’ont pas un regard bienveillant à l’endroit de ces derniers.
Il faut qu’il y ait une bonne collaboration entre les journalistes et les
acteurs culturels et éviter les bisbilles inutiles. Pour finir j’adresse mes
sincères remerciements au premier responsable de L’Obs. Dim et à tout le
personnel qui, avec ce canal, a permis d’apporter un plus au secteur de la
culture au Burkina Faso.
Jérôme William Bationo
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