Prosper Tiendrebéogo,
directeur des arts plastiques et appliqués
«Un artiste qui n’arrive pas à se
vendre deviendra un clochard»
Créée il y a peu de temps, la Direction des arts plastiques et
appliqués (DAPA) du ministère de la Culture et du Tourisme du Burkina Faso
contribue à sa manière à l’émergence du secteur des arts plastiques, encore très
peu connu dans notre pays. Pour en savoir davantage sur cette nouvelle
direction, ses attributs et ses ambitions, nous sommes allé à la rencontre de
son premier responsable.
Qui est Prosper Tiendrebéogo, pour nos lecteurs qui le découvrent ?
Je suis Prosper Tiendrebéogo, Directeur
des arts plastiques et appliqués (DAPA) au ministère de la Culture et du Tourisme
du Burkina Faso. Je suis chargé de mettre en œuvre la politique nationale en
matière d’arts plastiques et appliqués.
Pouvez-vous nous présenter davantage votre structure, la DAPA ?
La Direction des arts plastiques
et appliqués (DAPA) est une nouvelle direction née de la scission d’une Direction
générale, à savoir celle des arts de la scène, des arts plastiques et
appliqués. Elle existe depuis début 2012. Les autorités en charge de la culture
veulent mettre l’accent sur certains aspects des arts plastiques, d’où la
naissance de cette direction. Elle a en charge un certain nombre d’actions
telles que la favorisation de la création artistique, l’aide à la structuration
de cette filière et à la professionnalisation de ses acteurs, la promotion au
Burkina et en dehors puis la consommation des œuvres d’arts.
Quel est l’état des lieux du secteur des arts plastiques au Burkina Faso ?
On peut dire que c’est un secteur
qui a des difficultés mais qui a de l’avenir car il est en train de
grandir
dans notre pays. Longtemps marginalisés, les arts plastiques regorgent pourtant
de grands hommes, notamment des artistes qui sont souvent plus connus à l’extérieur
que dans notre propre pays. Une étude a montré que c’est un secteur qui crée
beaucoup d’emplois et qui apporte de la plus-value dans les industries
culturelles créatives.
Quelles sont les formes d’art que l’on classe dans ce domaine ?
Il faut dire que les frontières à
ce niveau sont souvent un peu vagues pour beaucoup de personnes.
On essaie de
mettre en parallèle des aspects liés à la plasticité, que nous comprenons, des
pratiques artistiques qui, elles-mêmes se sont enrichies d’autres apports. On
peut dire que les arts plastiques impliquent ce qu’on appelle les belles
formes. Il s’agit de ce qu’on peut modeler pour donner une forme d’un point de
vue artistique. Cependant, il faut reconnaître que les choses ont beaucoup
évolué ce qui amène à parler souvent d’arts visuels. L’œuvre d’art, c’est celle
qui exclut ce qui n’a pas une certaine cohérence esthétique. L’artisanat est
plutôt inné, c’est ce qu’on confectionne à partir du vécu. Chez nous ici, par
exemple, les chapeaux de Saponé sont des œuvres artisanales mais il y en a qui
sont devenus des œuvres d’artisanat d’art car ayant été améliorés avec des décors et une certaine dextérité dans le
complément de l’objet premier.
On parle également d’art composite, qui ne fait pas l’unanimité au
niveau même des artistes ; qu’en est-il exactement ?
Le terme art composite n’existe
pas en tant que tel. Il a été forgé au Burkina Faso. Il n’est pas exclu que
dans l’évolution de toute chose il soit forgé à un moment donné certains
concepts. C’est dans le souci d’intégrer de nouvelles formes de créations que cette
expression est arrivée à la Semaine nationale de la Culture (SNC). On a
constaté qu’en matière d’art il y avait des ajouts, on pouvait avoir par
exemple au niveau de la peinture des apports qui donnaient du relief. Ainsi,
lors d’une rencontre de réflexion sur la SNC, le terme a été retenu pour
prendre en compte ces créations.
Il existe plusieurs associations d’artistes plasticiens pour le même
secteur ; quels sont vos rapports avec celles-ci et comment appréciez-vous
cela ?
Le nombre d’associations montre
qu’il y a un certain dynamisme ; mais il faut dire aussi qu’il y a des
défaillances qui sont constatées dans leurs structurations, leurs
fonctionnements et même leurs gestions. C’est souvent entre les mains d’une
seule personne, à savoir celle qui a eu l’idée de création de l’association, ce
qui ne manque pas d’engendrer des problèmes de transparence et des polémiques
par moments, entraînant du coup un mauvais fonctionnement. Une des actions de
notre direction c’est d’amener toutes ces associations à être de plus en plus
professionnelles pour leur permettre de faire des activités et d’exposer leurs
œuvres plus facilement, contrairement à ce qui se passe actuellement. Nous
voulons mettre bientôt en place une agence de financement des activités
artistiques ; l’organisation de ces structures sera donc déterminante pour
leur accompagnement.
Quel regard portez-vous sur les différentes créations des artistes
burkinabè ?
J’ai un regard très positif en matière de création
artistique dans notre pays, surtout dans le domaine de la peinture. Il y a un certain
nombre d’artistes qui sont très connus, à l’image de Christophe Sawadogo, d’Ahmed
Ouattara, d’André Sanou, etc. Dans la sculpture, des noms tels que Siriki Ky,
Jean Luc Bambara, Sambo Boly et bien d’autres voyagent beaucoup ; et les
artistes, on peut le dire, vivent pleinement de leur art. La photographie, le
design et les autres arts jouissent aussi d’une bonne réputation. Cependant, il
faut noter qu’il y a un tassement dans certaines disciplines. A force de ne pas
sortir du pays pour partager d’autres expériences, les artistes font
pratiquement les mêmes choses, ce qui joue aussi sur l’écoulement de leurs
œuvres. De nos jours, on peut voyager sans se déplacer, à travers internet et
diverses documentations. Ça permet d’aérer l’esprit et d’aller plus loin dans
la création. Les jeunes qui viennent d’arriver sont à majorité autodidactes
mais ils sont talentueux.
Le problème de la promotion des arts plastiques se pose ;
cependant, à part le Centre national d’artisanat d’art (CNAA) et le Village
artisanal de Ouagadougou (VAO), les espaces ne sont pas assez suffisants pour
la diffusion des œuvres ; qu’est-ce qui est prévu à votre niveau ?
Une chose est de créer et une
autre est de diffuser. Je le dis souvent, un artiste qui n’arrive pas à vendre
deviendra un clochard ; car s’il crée des œuvres et qu’il n’arrive pas à
trouver un espace de diffusion, ça sera dommage. Nous avons certaines structures, comme le
Goethe Institut ou l’Institut français, qui donnent l’opportunité par moments à
travers les expositions ; malheureusement, il n’y a pas assez d’espaces de
diffusion et de promotion. Certains restaurants ou maisons d’hôtes acceptent
des expositions, mais ce ne sont pas des endroits de légitimation des arts. A
notre niveau, nous avons décidé d’amener l’art vers le public, ce qui nous a
permis de faire des expositions avec une soixantaine d’œuvres dans différents
ministères et institutions. Nous pensons cette année aller dans des endroits
comme les hôpitaux ou les prisons. Nous prévoyons également la construction
d’une galerie, avec toutes les commodités, qui sied et ça devrait coûter
environ 300 millions de francs CFA.
Entrant toujours dans le cadre de la promotion des arts plastiques, il
faut noter l’absence de professionnels tels que les agents d’artistes, les
commissaires d’expositions, les journalistes spécialisés et/ou critiques, les
curateurs, etc. Que fait votre direction pour pallier cela ?
Nous félicitons déjà les quelques
journalistes que vous êtes qui s’intéressent au secteur qui, nous le savons,
ont aussi besoin de se former, de se frotter à d’autres professionnels à
travers le monde. Il y a des activités comme la biennale de Dakar où on devrait
pouvoir envoyer quelques-uns d’entre vous par exemple. Notre souhait est que
les gens embrassent un certain nombre de professions pour compléter tous les
maillons de la chaîne. C’est un domaine porteur et nous n’hésitons pas à
encourager le public à s’y investir. Nous allons initier des rencontres avec
les professionnels pour voir dans quelles mesures le ministère de la Culture pourra
accompagner les différents acteurs.
Avez-vous une adresse particulière à l’endroit de nos lecteurs ?
Tout d’abord vous dire merci et particulièrement à inviter le
public à s’investir davantage dans les arts plastiques ; aussi aux
potentiels mécènes de donner la chance à ce secteur afin de le faire rayonner
au plan international, car on a de talentueux artistes ici au Burkina Faso.
Jérôme William Bationo
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire