18 mars 2014

" Un artiste qui n'arrive pas à se vendre deviendra un clochard"


Prosper Tiendrebéogo, directeur des arts plastiques et appliqués

«Un artiste qui n’arrive pas à se vendre deviendra un clochard»

Créée il y a peu de temps, la Direction des arts plastiques et appliqués (DAPA) du ministère de la Culture et du Tourisme du Burkina Faso contribue à sa manière à l’émergence du secteur des arts plastiques, encore très peu connu dans notre pays. Pour en savoir davantage sur cette nouvelle direction, ses attributs et ses ambitions, nous sommes allé à la rencontre de son premier responsable.

 

Qui est Prosper Tiendrebéogo, pour nos lecteurs qui le découvrent ?

Je suis Prosper Tiendrebéogo, Directeur des arts plastiques et appliqués (DAPA) au ministère de la Culture et du Tourisme du Burkina Faso. Je suis chargé de mettre en œuvre la politique nationale en matière d’arts plastiques et appliqués.

Pouvez-vous nous présenter davantage votre structure, la DAPA ?

La Direction des arts plastiques et appliqués (DAPA) est une nouvelle direction née de la scission d’une Direction générale, à savoir celle des arts de la scène, des arts plastiques et appliqués. Elle existe depuis début 2012. Les autorités en charge de la culture veulent mettre l’accent sur certains aspects des arts plastiques, d’où la naissance de cette direction. Elle a en charge un certain nombre d’actions telles que la favorisation de la création artistique, l’aide à la structuration de cette filière et à la professionnalisation de ses acteurs, la promotion au Burkina et en dehors puis la consommation des œuvres d’arts.

Quel est l’état des lieux du secteur des arts plastiques au Burkina Faso ?

On peut dire que c’est un secteur qui a des difficultés mais qui a de l’avenir car il est en train de
grandir dans notre pays. Longtemps marginalisés, les arts plastiques regorgent pourtant de grands hommes, notamment des artistes qui sont souvent plus connus à l’extérieur que dans notre propre pays. Une étude a montré que c’est un secteur qui crée beaucoup d’emplois et qui apporte de la plus-value dans les industries culturelles créatives.

Quelles sont les formes d’art que l’on classe dans ce domaine ?

Il faut dire que les frontières à ce niveau sont souvent un peu vagues pour beaucoup de personnes.

On essaie de mettre en parallèle des aspects liés à la plasticité, que nous comprenons, des pratiques artistiques qui, elles-mêmes se sont enrichies d’autres apports. On peut dire que les arts plastiques impliquent ce qu’on appelle les belles formes. Il s’agit de ce qu’on peut modeler pour donner une forme d’un point de vue artistique. Cependant, il faut reconnaître que les choses ont beaucoup évolué ce qui amène à parler souvent d’arts visuels. L’œuvre d’art, c’est celle qui exclut ce qui n’a pas une certaine cohérence esthétique. L’artisanat est plutôt inné, c’est ce qu’on confectionne à partir du vécu. Chez nous ici, par exemple, les chapeaux de Saponé sont des œuvres artisanales mais il y en a qui sont devenus des œuvres d’artisanat d’art car ayant été améliorés avec  des décors et une certaine dextérité dans le complément de l’objet premier.

On parle également d’art composite, qui ne fait pas l’unanimité au niveau même des artistes ; qu’en est-il exactement ?

Le terme art composite n’existe pas en tant que tel. Il a été forgé au Burkina Faso. Il n’est pas exclu que dans l’évolution de toute chose il soit forgé à un moment donné certains concepts. C’est dans le souci d’intégrer de nouvelles formes de créations que cette expression est arrivée à la Semaine nationale de la Culture (SNC). On a constaté qu’en matière d’art il y avait des ajouts, on pouvait avoir par exemple au niveau de la peinture des apports qui donnaient du relief. Ainsi, lors d’une rencontre de réflexion sur la SNC, le terme a été retenu pour prendre en compte ces créations.

Il existe plusieurs associations d’artistes plasticiens pour le même secteur ; quels sont vos rapports avec celles-ci et comment appréciez-vous cela ?

Le nombre d’associations montre qu’il y a un certain dynamisme ; mais il faut dire aussi qu’il y a des défaillances qui sont constatées dans leurs structurations, leurs fonctionnements et même leurs gestions. C’est souvent entre les mains d’une seule personne, à savoir celle qui a eu l’idée de création de l’association, ce qui ne manque pas d’engendrer des problèmes de transparence et des polémiques par moments, entraînant du coup un mauvais fonctionnement. Une des actions de notre direction c’est d’amener toutes ces associations à être de plus en plus professionnelles pour leur permettre de faire des activités et d’exposer leurs œuvres plus facilement, contrairement à ce qui se passe actuellement. Nous voulons mettre bientôt en place une agence de financement des activités artistiques ; l’organisation de ces structures sera donc déterminante pour leur accompagnement.

Quel regard portez-vous sur les différentes créations des artistes burkinabè ?

J’ai un regard  très positif en matière de création artistique dans notre pays, surtout dans le domaine de la peinture. Il y a un certain nombre d’artistes qui sont très connus, à l’image de Christophe Sawadogo, d’Ahmed Ouattara, d’André Sanou, etc. Dans la sculpture, des noms tels que Siriki Ky, Jean Luc Bambara, Sambo Boly et bien d’autres voyagent beaucoup ; et les artistes, on peut le dire, vivent pleinement de leur art. La photographie, le design et les autres arts jouissent aussi d’une bonne réputation. Cependant, il faut noter qu’il y a un tassement dans certaines disciplines. A force de ne pas sortir du pays pour partager d’autres expériences, les artistes font pratiquement les mêmes choses, ce qui joue aussi sur l’écoulement de leurs œuvres. De nos jours, on peut voyager sans se déplacer, à travers internet et diverses documentations. Ça permet d’aérer l’esprit et d’aller plus loin dans la création. Les jeunes qui viennent d’arriver sont à majorité autodidactes mais ils sont talentueux.

Le problème de la promotion des arts plastiques se pose ; cependant, à part le Centre national d’artisanat d’art (CNAA) et le Village artisanal de Ouagadougou (VAO), les espaces ne sont pas assez suffisants pour la diffusion des œuvres ; qu’est-ce qui est prévu à votre niveau ?

Une chose est de créer et une autre est de diffuser. Je le dis souvent, un artiste qui n’arrive pas à vendre deviendra un clochard ; car s’il crée des œuvres et qu’il n’arrive pas à trouver un espace de diffusion, ça sera dommage.  Nous avons certaines structures, comme le Goethe Institut ou l’Institut français, qui donnent l’opportunité par moments à travers les expositions ; malheureusement, il n’y a pas assez d’espaces de diffusion et de promotion. Certains restaurants ou maisons d’hôtes acceptent des expositions, mais ce ne sont pas des endroits de légitimation des arts. A notre niveau, nous avons décidé d’amener l’art vers le public, ce qui nous a permis de faire des expositions avec une soixantaine d’œuvres dans différents ministères et institutions. Nous pensons cette année aller dans des endroits comme les hôpitaux ou les prisons. Nous prévoyons également la construction d’une galerie, avec toutes les commodités, qui sied et ça devrait coûter environ 300 millions de francs CFA.

Entrant toujours dans le cadre de la promotion des arts plastiques, il faut noter l’absence de professionnels tels que les agents d’artistes, les commissaires d’expositions, les journalistes spécialisés et/ou critiques, les curateurs, etc. Que fait votre direction pour pallier cela ?

Nous félicitons déjà les quelques journalistes que vous êtes qui s’intéressent au secteur qui, nous le savons, ont aussi besoin de se former, de se frotter à d’autres professionnels à travers le monde. Il y a des activités comme la biennale de Dakar où on devrait pouvoir envoyer quelques-uns d’entre vous par exemple. Notre souhait est que les gens embrassent un certain nombre de professions pour compléter tous les maillons de la chaîne. C’est un domaine porteur et nous n’hésitons pas à encourager le public à s’y investir. Nous allons initier des rencontres avec les professionnels pour voir dans quelles mesures le ministère de la Culture pourra accompagner les différents acteurs.

Avez-vous une adresse particulière à l’endroit de nos lecteurs ?

Tout d’abord vous dire merci et particulièrement à inviter le public à s’investir davantage dans les arts plastiques ; aussi aux potentiels mécènes de donner la chance à ce secteur afin de le faire rayonner au plan international, car on a de talentueux artistes ici au Burkina Faso.

Jérôme William Bationo

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