20 mars 2014

Une nuit à la présidence

Quand le théâtre se frotte à la politique et s'y consume?

La scène de théâtre peut-elle être une tribune politique ? Le théâtre peut-il parler la langue de bois du politique sans prendre son âme ? Réponse à partir d’Une Nuit à la Présidence de Jean-Louis Martinelli.

Gide disait que l’on ne fait pas de la bonne littérature avec de bons sentiments. Cela vaut aussi pour le théâtre au regard du gâchis qu’est Une nuit à la présidence de Jean-Louis Martinelli. Et pourtant, tout était réuni pour un spectacle total. La plupart des comédiens travaillent avec le metteur en scène depuis qu’il a entamé son expérience théâtrale en Afrique : Odile Sankara, Moussa Sanou, Blandine Yaméogo.

Son succès est due à une recette qui consiste à marier le texte dramatique aux chants et musiques d’Afrique sous la conduite du grand musicien Ray Lema. Avec Médée de Max Rouquette, le metteur en scène français a réussi une œuvre magistrale avec Odile Sankara donnant à la princesse éconduite la folie et la douleur nécessaires à cette double infanticide pour la hausser au niveau des monstres au théâtre. Les chœurs bambara des femmes rythmant la montée de la tragédie sont aussi une belle trouvaille.

Dans Une Nuit à la Présidence il s’agit de faire le procès des pouvoirs politiques en Afrique à travers la participation d’un groupe de jeunes musiciens au diner organisé par le Président et sa femme en l’honneur d’un investisseur français. La boisson aidant, in vino veritas, les langues vont se délier et faire le procès de la gestion du pays. Martinelli reconduit la recette qui fit ses succès ultérieurs. Casting de mêmes comédiens à quelques exception près, et musique et chants avec Bil Aka Kora et Wendy sous la conduite de Ray Lema. Et une scénographie très proche de Médée : la grille de fer de Médée  est remplacée ici par un voile transparent rendant  les acteurs visibles depuis les coulisses.

Et cependant cela ne fonctionne plus. La magie n’opère pas. Il y a une belle brochette de comédiens, de la musique et des chants, des lumières et du mouvement mais le théâtre s’est absenté, volatilisé. Et ce pour plusieurs raisons. Martinelli a voulu se passer de texte d’auteur et a bâti sa pièce autour des improvisations de ses comédiens. De sorte que le texte est indigent, les mots de tous les jours se promènent sur scène sans en avoir revêtu le costume.

Le metteur en scène a oublié que le théâtre ne peut s’emparer des brèves de comptoirs et des bons mots de la rue  sans les passer à la moulinette de l’écriture dramatique, car la scène n’est pas la rue. Ainsi le célèbre discours de Thomas Sankara à l’OUA, converti en chant par Bil Aka Kora, perd de sa force politique sans faire  un beau chant ! Ce qui n’est aucunement  la faute du chanteur, car ce discours aurait pu être fredonné  par Las Callas avec tous les préalables du bel canto, le résultat n’aurait pu  être autre que ce long intermède d’ennui.

En outre, Martinelli a voulu parler de politique africaine sans en comprendre  les enjeux ni maîtriser les subtilités. Aussi les lieux communs et les clichés fleurissent-ils  sur les lèvres des comédiens dès qu’ils ouvrent la bouche. Cette pièce se veut une critique des pouvoirs africains. Soit ! Mais elle verse rapidement dans la caricature, ce qui  dessert  le propos. Tous les personnages sont des blocs monolithiques, sans fêlure, sans nuances.

Autant le Président est un bouffon n’ayant même pas la subtilité d’ Ubu Roi de Jarry ; autant Aminata, la ministre rebelle campée par Odile Sankara qui est un clone de l’ancienne ministre de la culture du Mali et militante altermondialiste Aminata Traoré, a la rigidité d’une statue. L’ex-ministre aurait participé à l’écriture du texte et Martinelli tenait apparemment à en faire une statue d’engagement et un parangon de vertu.

Libre à lui d’être thuriféraire de la dame mais le spectateur ne vient pas au théâtre pour s’agenouiller devant des idoles d’une autofiction théâtrale il y vient pour voir des humains agir. Regarder des hommes et des femmes pris dans les rets de la vie et qui s’agitent, se jettent dans l’action avec leurs forces et leurs faiblesses. Pourtant, il n’y a pas d’humains dans cette pièce. Les personnages sont des blocs de sottise (le Président, La Première dame, l’Invité occidental) et une déesse (La ministre) qui observe le monde avec morgue, juchée sur son piédestal.

Une Nuit à la Présidence est un Titanic; on y entre en espérant une croisière de  rêve et dès qu’il a appareillé, c’est  le naufrage…Tout se désagrège et va à vau-l’eau.

Pour conclure, il faut dire que le matériau politique peut et doit inspirer le théâtre, car c’est l’art le plus éminemment politique. Mais il s’agit de transformer le matériau politique en matière dramatique par les ressources de l’art mais non d’une transposition brute. Si on peut discuter de l’existence de l’art brut en peinture, au théâtre il n’est pas de doute qu’il n’existe. On convoque souvent Brecht pour justifier les engagements au théâtre, mais on oublie que c’est par son esthétique théâtrale et non par son engagement marxiste que Brecht est grand.

Si Martinelli est un africaniste, ce dont il ne faut point douter, il peut rendre service au continent autrement. D’ailleurs, en travaillant avec des comédiens et des musiciens africains, il contribue au développement du théâtre. Il serait heureux qu’il  s’y tienne et laisse la harangue politique à ceux dont c’est le métier! Car en se piquant de nous balader dans les arcanes de la politique en Afrique à partir d’improvisations, Une Nuit à la Présidence tend aux Africains une image boursouflée d’eux-mêmes. Ce qui n’est certainement pas son intention.

Saïdou Alcény Barry

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