Article gangant du Concours du meilleure critique d'art
dans le cadre du "Carrefour des Arts Plastiques" 2012
dans le cadre du "Carrefour des Arts Plastiques" 2012
Des fourmis et des hommes
Dans le cadre
du Carrefour des arts plastiques de Ouagadougou qui se déroule du 19 octobre au
11 novembre, la villa Yiri Suma accueille les œuvres de trois peintres togolais
dont celles d’Adokou Kokouvi. Il s’agit de neuf toiles qui montrent des fourmis
dans des scènes anthropomorphiques. Un théâtre drolatique et satirique.
Arthur Rimbaud disait dans les Illuminations : « Dans
un grenier où je fus enfermé à douze ans j’ai connu le monde, j’ai illustré
la comédie humaine ». Il suffit parfois de promener le regard dans un
réduit ou sur une petite parcelle de terre pour arriver à l’intelligence du
monde. En posant un instant les yeux sur le sol, l’homme découvre que sous sa
godasse, il y a un univers grouillant de
vie, beaucoup d’êtres industrieux et organisés. C’est ce qu’a fait Adokou Kokouvi,
un jeune peintre togolais, pas encore
trentenaire, qui vit et travaille à Ouaga depuis trois ans. Enfant ayant grandi
au village, il lui arrivait de s’allonger dans l’herbe, d’’approcher le nez du
sol pour assister à un spectacle fabuleux. Des fourmis passant leur chemin par
milliers, luttant avec des charges plus lourdes qu’elles, tellement obstinées, passant tous les obstacles,
et allant et venant dans une longue marche
vers la fourmilière. Ces lilliputiens que nous piétinons sans voir, il a décidé d’en
faire les personnages d’un opéra comique en neuf tableaux. Comique parce qu’il
les croque dans des attitudes anthropomorphiques inattendues. Ainsi sur la toile
baptisée « Le Couple » on voit un couple de fourmis, les yeux plongés
dans la lecture d’un journal, l’autre « La Causerie » met en scène
des fourmis dans une discussion fort animée au vu de la posture et de la
physionomie des protagonistes, ailleurs,
la reine de la fourmilière est entourée de quelques personnages à la mine patibulaire, certainement la garde rapprochée.
Le trait de l’artiste est assez proche de la
caricature par l’exagération dans l’esquisse de certains traits morphologiques. Les yeux sont
deux globes fendus d’une incise posés sur la tête, la bouche est ronde comme un
O ou allongée d’un dard, les pattes se terminent en sabot ou en soulier. Il y a quelque chose
d’enfantin dans ces dessins qui rappellent les
bonshommes que peignait Jean Marie Basquiat, le prodige haïtien
précocement décédé.
Sur ces toiles, Adokou kokouvi recourt à de coupures
de journaux, du papier mâché et des
pigments. Il écrit aussi des fragments de texte au pastel dont on peut
décrypter quelques lettrines ou mots
mais l’ensemble se perd dans le
gribouillis. Ces tableaux sont aérés, diffusent quelque chose de lumineux car le
noir et le gris sont atténués par des pointillés de bleu, des bandes de jaune
ou des tirets rouges.
L’idée d’accrocher cet opéra fabuleux au niveau du
premier étage de la maison a été heureuse et aussi celle de mettre les neuf
tableaux dans un carré de trois tableaux sur trois, cela oblige le regardeur à
lever les yeux au ciel. Une façon de dire que l’art a le pouvoir d’inverser les
rôles. L’homme ne baisse plus le regard pour voir les fourmis, il est contraint
de rejeter de lever la tête pour le
voir. En outre, pour mieux voir ses toiles dans le détail, le spectateur doit
monter l’escalier en colimaçon et même se
pencher quelque fois dans le vide dans une position inconfortable. L’art inverse ainsi le rapport de domination.
Ce regroupement des toiles autorise aussi des associations et génère un récit interprétatif des neuf toiles
comme une unité. Ainsi, ces toiles font songer à une fourmilière avec ses
différents niveaux, ses soldats, ses ouvrières, sa reine et ses galeries, ses
entrepôts, ses systèmes d’aération et d’évacuation des déchets. Et cette fourmilière suspendue fait penser à un HLM avec ses appartements, ses locataires. On
a l’impression de coller le nez à la vitre d’un appartement et d’observer les
locataires dans leur vie quotidienne. Et là est justement la satire sociale !
Car un HLM n’est pas une fourmilière. Chaque appartement est une cellule
étanche, chaque famille est une île défendue par ses quatre murs. Ainsi, en
prenant prétexte de la myrmécologie, le jeune peintre fait une subtile critique
de la destruction du lien entre les
hommes.
En invitant les
fourmis sur ses toiles, Adokou kokouvi
nous rappelle que nous cohabitons avec d’autres espèces et que nous avons même
des leçons à prendre avec le monde animal. Une démarche écologiste et critique
de la part d’un jeune artiste dont la technique est intéressante et
prometteuse. Toutefois, l’influence de Jean Michel Basquiat est trop présente
dans ces toiles ; il faut donc espérer que l’artiste se débarrasse d’une
telle tutelle et trace sa propre route. Comme
une fourmi !
Saïdou Alcény BARRY
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